MORT D'UN BEAUF DE L'ECRITURE
10/02/17 20:47 Classé dans :
SociétéDécédé à Paris le 31 octobre 2013, l'auteur de la célèbre série SAS laisse une œuvre considérable dans l'épaisseur — 200 tomes de SAS écoulés à plus de 120 millions d'exemplaires — plus critiquable dans la légèreté des propos abordés et d'une certaine idée du monde, disons toute particulière...

Mais, avant l'oeuvre elle-même, c'est la personnalité de Gérard de Villiers qui rend corrosif le souvenir qu'il laisse. Outre ses accointances avec le Front National — qu'il n'est visiblement plus le seul à mettre en avant — les idées du très prolifique auteur dérange la pensée unique et les habitudes intellectuelles des écrivains. À tel point, que la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti n'a pas souhaité lui rendre hommage. Alors faux écrivain ? Vrai escrocs ?
En premier lieu, il faut souligner que les aventures de Malko Linge sont très documentées car l'auteur s'était entouré de professionnels de l’espionnage qui se confiaient régulièrement à lui, certainement animés du sentiment cabot de se retrouver dans cet univers romanesque, peuplé de jolies filles et d'aventures rocambolesques. Gérard de Villiers voyageait beaucoup et se rendait toujours dans les pays où il avait décidé d'implanter son nouveau roman. De ce point de vue, il agissait en orfèvre et il est difficile de lui contester qu'il savait de quoi il parlait, même s'il en grossissait le trait, ce qui est propre à la plupart des romans dont le rôle est bien de donner l'image de la réalité au travers du prisme déformant du regard de l'auteur.
D'ailleurs, le New-York Time ne s'y était pas trompé en titrant son article consacré à l'auteur : "The Spy Novelist Who Knows Too Much". Le journaliste américain n'y allant pas de main morte puisqu'il prétend que de Villiers avait pressenti certains événements tel l'assassinat d'Anouar Al-Sadate en 1980 dans le livre Le Complot du Caire. L'article se poursuit en affirmant que Le chemin de Damas est presque prophétique puisqu'il décrit par le menu un attentat en Syrie ressemblant à s'y méprendre à celui, bien réel, lancé contre le bâtiment de la sécurité nationale qui eut lieu à Damas en juillet 2012, tuant plusieurs personnes de l'entourage de Bachar Al-Assad.
Mais peut-être plus étonnant encore est la confession de Hubert Védrine — resté cinq ans au poste de Ministre des Affaires étrangères — déclarant avoir toujours lu le SAS correspondant au pays qu'il allait visiter officiellement afin de connaître le sentiment qu'en avait les services secrets...
Bien sûr, notre américain de journaliste évoque également le contenu pornographique des aventures de Son Altesse Sérénissime parsemées de sodomies et culbuteries en tout genre, propres à choquer considérablement l'Amérique puritaine. Mais, le journaliste reste bien ancré sur ce qui le fascine réellement chez de Villiers, son fric, sa réussite et son appartement luxueux proche des Champs-Élysées.
Ceci vaut pour le lustre, qu'en est-il de l'homme ?
Les propos extraits d'une interview donnée à Rock'n Folk en mars 82 laissent en effet pour le moins sceptique : « je me sentirai toujours plus proche d'un Blanc con que d'un Noir intelligent » (retrouvés sur le blog Homeatlast). Bien entendu, il serait très réducteur de limiter la pensée de l'auteur à cette seule phrase, mais il faut bien avouer qu'il a tendu lui-même le bâton pour sa flagellation. Flagellation qu'il réservait pourtant aux femmes qu'il maltraitait en permanence dans ses romans en leur faisant subir tous les supplices, pour peu qu'ils soient spectaculaires, à défaut d'être bandants...
Un article du Monde — prenant le pas sur celui du New-York Time — révélait une facette plus proche de la réalité que la transcription béate du journaliste américain. Élevé par sa mère, de Villiers assène à qui veut bien l'entendre qu'il aurait dû devenir PD, cela semble même tenir de l'obsession psychasthénique à en croire le nombre de fois où le mot sort de sa bouche... PD, PD, PD... et s'il tenait là son vrai fantasme ? Les psychanalystes noteraient que la rumeur sur Sheila — propulsée en 1968 par de Villiers et son manager —, la présentant comme un homme, en dit long sur sa vision obsédante de l'homosexualité.
Lanzmann décrit son ami comme un être tourmenté dont les propos peuvent choquer, et pour cause :"J'aime pas les femmes androgynes et en jean. Une femme sans formes, c'est pas une femme, si ?". Quant à l'écrivain — un vrai, lui — Jonathan Littell ? "Comment voulez-vous qu'un homo juif new-yorkais sache décrire un officier SS ?". Que dire ? Quoi penser ? De vrais propos de connard patenté ?... De beauf ringardisé par la soie et le luxe, accompagné de vieilles rombières fraichement passées au scalpel d'Ohana ? Non, simplement de Gérard de Villiers... dans le texte !
En attendant, beauf ou pas, la liste des personnages ayant foulé le sol de son salon est impressionnante : Hubert Védrine, François Pinault, le juge Bruguière, ou Ivan Barbot, l'ancien chef d'Interpol. On finit d'ailleurs par se poser une question toute bête, une question d'évidence... Et si la beauferie de Gérard de Villiers n'étaient pas, in fine, le lot quotidien de ces hommes que nous pensons d'exception ? Qui se ressemble...
Bref, Gérard de Villiers n'était certainement pas un as de la pensée, ni un humaniste hors pair. Ses propos, au bout du compte, ne regardaient que lui et faut-il bannir Céline pour ses idées noirâtres ?
Certes, Céline avait un talent invraisemblable que n'avait pas de Villiers, mais reconnaissons à l'auteur de SAS qu'il a diverti ses contemporains et cela, aucun article, le mien comme les autres, ne peut le lui enlever.
Les romans de gare permettent à bon nombre de nos contemporains de lire des livres qu'ils ne liraient pas autrement et je me sentirais toujours plus proche d'un con lisant SAS que d'un homme intelligent, le nez coincé sur son portable, alignant les bonbons d'un jeu certainement plus débilitant que les aventures de Malko Linge...
Je n'arrêterai jamais, je vais continuer, le pied sur l'accélérateur, jusqu'à ce que je meurs...
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